Thursday, March 11, 2010

AYITI CHERI
LISONS HAÏTI

Haïti est aux prises avec des chiffres qui dépassent l'imagination. 200 000 morts, plus de 300 000 blessés et environ 1 million de personnes à la rue. Haïti n'est plus sous les feux des projecteurs mais le rappel des chiffres est à lui seul un vertige. Si les morts n'ont plus besoin de lumière, leur souvenir, lui, se doit d'être invoqué, et quoi de mieux que la littérature pour les rappeler aux vivants. ("Si la littérature n'est pas écrite pour rappeler les morts aux vivants, elle n'est que futilité" comme disait le romancier et critique littéraire Angelo Rinaldi).

Même si les ombres subsistent, assez de chiffres, place aux lettres. Et elles sont belles ces lettres haïtiennes, elles sont fortes et militantes parfois, fières de leur créolité. Il faut lire Haïti, rester curieux de sa culture et de ses représentants : le poète Kesler Brezo, Lyonel Trouillot (magnifique "Bicentenaire"), Jean-Claude Fignolé ("Une heure pour l'éternité"), L'ex-îlé Jean-Euphèle Milcé,le poète James Noël, Emmelie Prophète ("le testament des solitudes"), Kettly Mars, à qui l'on doit "Fado", le grand Georges Castera, Georges Anglade, Louis-Philippe Dalembert ("L'Autre face à la mer"), Frankétienne ("La nocturne connivence des corps inverses"), Gary Victor ("A l'angle des rues parallèles"), Dany Laferrière ("Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit?"), Rodney Saint-Eloi ("J’ai un arbre dans ma pirogue"), la romancière et nouvelliste Yanick Lahens, auteure de "La couleur de l'aube"…
Haïti, c'est aussi un art pictural particulier et inspiré, celui d'Hector Hyppolite, de Rigaud Benoit pour ne citer qu'eux, le pays des poèmes, comme celui de Rassoul Labuchin, l'un de mes préférés, lancé comme un chant au poète François Villon et à une femme au prénom de triste tempête : «Flora cé gnou belle femme / gnou belle belle ti Romaine/ Villon pa té ça vive/ Sans Flora belle Romaine/ Dis moin non belle Flora/ Lan qui pays ou yé/ Flora loa toute jardin/ Flora loa toute belle fleur/ Tété jasmin créole/ Ça qui passé-ou con ça/ Dépis Villon mouri/ Flora éternité/ Tounnin gnou bourasse vent/ Cap maché fait dégat/ Dis moin non belle Flora/ Lan qui pays ou yé». (Rassoul Labuchin, Flora, Compère ).
Haïti, pays des comptines, effrayante et belle comme le sont les meilleures comptines ;
Manman ou, manman ou ale lavil, ale lavil, l a pote pen pou ou, penga ou kriye pou chat mawon pa pran ou ("Ta mère, ta mère est allée à la ville, allée à la ville, elle t'apportera du pain, ne pleure pas, pour que le chat sauvage ne te prenne pas").
En souvenir des bibliothèques de Port-au-Prince, et salutations au Golfe de la Gônave et de la Presqu'île du Sud.

Monday, February 15, 2010

Ah l'amour!

Comme promis, voilà la chronique tant attendue sur la littérature érotique. Évidemment, il suffirait que j'agrandisse la taille de la police du mot
SEXE (imaginez ça en 72, ou en 104...)

Pour que mon audience s'accroisse considérablement mais ce serait vraiment m'attirer les foudres de mon chef de pupitre...
Contrairement à l'adage qui veuille que plus on en parle, moins on le fait, certains auteurs
n'hésitent pas à nous émoustiller corps et cervelle. Quelques propositions :
Si l'on revient aux bons vieux classiques, le Marquis de Sade et son Justine ou les infortunes de la vertu est un incontournable qui voit la subversion le disputer à l'infamie. Sade écrivait à un ami à propos de cette Justine : "J’avais besoin d’argent, mon éditeur me le demandait bien poivré, et je lui ai fait capable d’empester le diable. On l’appelle Justine ou les Malheurs de la vertu. Brûlez-le et ne le lisez point s’il tombe entre vos mains".
De quoi aiguiser notre curiosité… De même que les correspondances des très sérieux Stendhal et Flaubert. Dans le journal du premier, on peut lire : "Je l'aime depuis que je la considère comme foutable". Du second, évoquant Venise :"Aucune fouterie". Le même, évoquant Naples : "J'ai passablement baisé à Naples".
Et après on nous rabâche que la lecture des classiques est ennuyeuse…
Pierre Louys et son Trois filles de leur mère n'est pas en reste, de même que Georges Bataille ou encore André Pieyre de Mandiargues, auteur de Récits érotiques et fantastiques, paru chez Gallimard l'année dernière.
Les Onze mille verges d'Apollinaire est quant à lui, un grand livre pornographique et politique rempli de grivoiseries et d'obscénités et qui dresse un tableau saisissant de l'état du monde au début du XXe siècle (L'obscénité de la politique est bien connue de la sagesse populaire…)
On ne peut qu'encourager la lecure de Myra Breckinridge et Myron de Gore Vidal, roman tout dressé contre la décence et la politesse, dans lequel on peut lire cette réplique légendaire : " Myra Breckinridge est une nana canon, ne l'oubliez jamais fils de putes, comme les enfants le disent de nos jours".
Tout amateur de littérature érotique qui se respecte ne peut passer à côté de la Vénus erotica d'Anaïs Nin, qui aurait écrit ces récits sur demande d'un mystérieux bienfaiteur.
De même pour Histoire d'O de Dominique Aury, livre ô combien sulfureux quand il parut dans la France des années 50…
Si on lorgne du côté de la relève, Le Boucher d'Alina Reyes est un régal :"La chair du boeuf devant moi était bien la même que celle du ruminant dans son pré, sauf que le sang l'avait quittée. Et le boucher qui me parlait de sexe toute la journée était fait de la même chair".
La vie sexuelle de Catherine M nous expose quant à elle avec un souci chirurgical et un amour consommé du scandale les nombreuses expériences sexuelles de Catherine Millet, directrice de la revue Art Press et critique d'art reconnue.
On entend aussi beaucoup parler de Curt Léviant, écrivain américain, qui fit paraître dans l'Amérique des années Clinton-Lewinsky un Journal d'une femme adultère aphrodisiaque et provocant.
Du côté québécois, Les aventures de Minette Accentievitch de Vladan Matijevic, paru en 2007 chez les Allusifs valent le détour en nous offrant le portrait d'une héroïne charnelle, sans-cœur et sans-culottes.
"On est puceau de l'Horreur quand on l'est de la volupté" disait le docteur Céline…

Wednesday, January 27, 2010

JANVIER, AU NORD DE LA FRONTIÈRE, AU SUD DE NULLE PART

Ah janvier… Son lot de dépressions, de morts, d'estomacs retournés, de pensées en vrac… Qui a inventé la semaine de 7 jours? Et la minute de 60 secondes? Remercions les Hébreux et les astronomes babyloniens d'avoir, par leurs inventions, réussi à contenir autant de plaisirs et de souffrances dans leurs fines mesures.
On devrait faire comme les Diggers au XVIIe siècle, un groupe de communistes anglais avant la lettre, qui en réaction à l'implantation des machines qui menaçaient leur emploi dans l'industrie textile, décidèrent de casser toutes les horloges qu'ils pourraient trouver. Emmett Grogan en parle dans Ringolevio (publié chez Gallimard en 1998), livre que je relis régulièrement et qui raconte l'histoire d'un jeune irlando-américain de Brooklyn, voyageur-cambrioleur, qui se retrouve à Paris pendant la guerre d'Algérie, qui connaît la prison, s'engage dans l'IRA et fonde justement les Diggers de San Francisco dans les années 60, dont la principale préoccupation était de "libérer" des vivres pour les distribuer à des milliers de pauvres. Grand livre.
Comme disait Kurt Vonnegut dans Abattoir 5 : "Le temps est le temps. Il ne change pas. Il est simplement. Prenez-le instant par instant, et vous découvrirez que nous sommes tous… des insectes (préservés) dans de l'ambre".

En ce début d'année, adieu douce réalité des vacances, bienvenue aux fantasmes (du latin phantasma : fantôme, spectre) ; côtes vénézueliennes, Isla de la Tortuga, Jamaïca… Comme Prospéro, le vieux magicien de La Tempête de Shakespeare, je fais partie de ceux qui se réfugient dans leur bibliothèque à l'abri de toutes les tempêtes du monde (d'ailleurs, tempestas signifie beau et mauvais temps en latin). On découvre les plaisirs du thé et de la neige. On lit des auteurs japonais et de la littérature de voyage (ou érotique tiens, ça fera l'objet de notre prochaine chronique, c'est bon pour le moral la littérature érotique, surtout en février, la toupie québecoise, il parait que ça revigore, de même que l'hélicoptère hongrois… Je m'égare là, entre la pratique et la théorie, tout un fossé qui laisse place aux phantasma justement!).
Plus sérieusement, allons-y pour quelques propositions de lecture, afin de conjurer le mauvais sort et nous faire voyager au-delà des tempêtes.
Les Notes de chevet de Sei Shonagon, femme de lettres japonaise qui a vécu vers l'an 1000 à la Cour impériale, pour toutes les petites choses qu'on aiment et celles que l'on détestent (tant que ça s'équilibre…).
33, chemin de la baleine de Myriam Beaudoin, car il y en a de la grâce là dedans, comme dans tous ses livres d'ailleurs, et un talent salutaire, celui de se garder de tout jugement.
Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil (le titre en lui-même est une invitation au voyage).
Et la pensée du jour, par l'auteur de La Tempête : "C'est l'endroit ou l'eau est profonde qu'elle est le plus calme".


Tuesday, December 1, 2009

Elmore Léonard : « Les doigts dans le nez, putain ».

Il y a certains écrivains comme Elmore Leonard, qui a près de 89 ans, continuent de nous servir une prose vaillante et inspirée, qui fleure bon le nouveau monde, l'odeur de bottes et le champ des possibles. C'est cru, c'est vivant, et ça vous fait passer des pans entiers d'Histoire mine de rien tout en vous contant fleurette. Bref, ça vaut le détour.
Hitler's day est son dernier opus. Ce n'est peut-être pas son meilleur mais on y retrouve tous les ingrédients qui font d'Elmore Leonard un des auteurs fétiches des cinéastes. En effet, l'homme est l'auteur de Punch créole (le fameux Jackie Brown de Quentin Tarantino) ou encore de Loin des yeux (Hors d'atteinte de Steven Soderbergh). Dialogues incisifs et personnages aux multiples facettes, sa galerie de personnages est un vrai régal. Il y est question de fausse blonde à béret noir, d'équarisseurs de viandes, de sosie d'Himmler, de nazillon qui lâche des vents (who cut the cheese?!), de « grand dragon » du KKK et de masticage de faines.
On y sent l'amour et la connaissance de Détroit (papa travaillait pour General Motors et Leonard a vécu une bonne partie de sa vie dans cette ville ) et la fascination pour les armes à feu. Luger, Walther P38, Schmeisser, Maschinenpistole en tous genres, on peut dire que tout y passe et que le nombre d’années n’émousse pas l’instinct du chasseur...
De plus, l'homme est productif : 5 enfants, un nombre incroyable de scénarios, westerns, polars à son actif et à sa table de travail de 9h30 à 18h. Constance, régularité, Léonard dit Le Dutch (qui a commencé par écrire des westerns pour des pulps avant de se frotter au noir), est une véritable machine à écrire qui conjugue sens de la narration et contenu social.
Il a l'art et la manière de vous faire passer quelques bonnes notions historiques avec la décontraction d'un vieux cowboy sirotant un gin vermouth dans votre canapé les bottes posées sur la table basse. Sur la deuxième guerre mondiale, l'influence d'Henry Ford sur Hitler, l'Afrika Korps, Brecht, Hewingway, l’Amérique de Roosevelt et du New Deal, les combats dans le Pacifique et les îles de l’Amirauté, le siège d’Odessa… Il arrive même à nous glisser quelques blagues à partager seulement entre gens de bonne compagnie… Allez, comme c’est fêtes, un petit extrait en primeur :
Un gars rentre chez lui, passe la porte avec une brebis dans les bras. Sa femme se tourne vers lui et il dit : « Voilà la truie avec laquelle je couche quand je ne suis pas avec toi ». Et sa femme répond : « Espèce d’idiot, c’est pas une truie c’est une brebis ». Alors le gars dit : « C’est pas à toi que je parlais ». Un homme délicat on vous dit.

Et tout cela bruissant de la voix d'enfant de Billie Holiday et du hillbilly, le folk du Sud ; Love makes me treat you the way that i do, gee, baby, ain't I good to you…

Hitler’s day, Rivages/Thriller, 2009.
La loi de la cité, Rivages/Noir, 2007.
La Brava, Rivages/Noir, 2006.
Punch créole, Rivages/Noir, 1998.

Wednesday, October 7, 2009


ALAN TURING : L’HOMME QUI A CROQUE LA POMME



On a trop rarement l’occasion de penser aux hommes qui se cachent derrière les inventions les plus courantes. C’est vrai qu’après une journée bien remplie, on a autre chose à faire qu’à disserter sur l’inventeur de la clepsydre à eau ou de la poire à lavement. Il serait bien difficile de nier les inventions de Monsieur Winchester, de Monsieur Poubelle ou de Monsieur Bic (et oui…) puisqu’elles portent le nom de leurs inventeurs. Mais que diriez-vous d’évoquer l’histoire d'un surdoué de l’informatique ? Beaucoup d’entre nous connaissent le logo d’Apple, une pomme croquée aux couleurs multicolores. Mais qui connaît l’histoire qui a inspiré ce logo ? Elle est tout simplement extraordinaire et elle débute en Grande-Bretagne, avec la naissance en 1912 d’Alan Turing. Mathématicien surdoué, il se distingue en posant les bases des recherches en intelligence artificielle et à l’idée de concevoir le premier ordinateur dès 1936. Pendant la seconde guerre mondiale, il collabore avec les services secrets britanniques et parvient à percer le secret de la machine Enigma, qui permettait aux nazis de coder leurs messages et contribue ainsi grandement à la victoire des alliés. (Churchill considéra même qu’ Alan Turing avait sauvé l’Angleterre). 

Mais l’homme est homosexuel, l’assume et le reconnaît, et on ne plaisante pas avec ce qui est considéré dans les années 50 comme un crime et une perversion. En 1952, c’est la même loi qui condamna l’écrivain Oscar Wilde (la fameuse section 11 du Criminal Law Amendment Act de 1885) qui fait « tomber » Turing. On le somme de choisir entre l’incarcération et la castration chimique. Il choisit cette dernière, en pensant ainsi réussir à poursuivre ses travaux. D’une part, cette castration chimique censée réduite sa libido et réorienter sa sexualité « dans le droit chemin » échoue, mais d’autre part, il est écarté de tous les grands projets scientifiques de l’époque.  

En 1954, il est retrouvé mort dans son lit, une pomme croquée trempée dans du cyanure à côté de lui. Meurtre ? Suicide ? Accident ? Les avis sont partagés.  Certains évoquent une mise en scène des services secrets britanniques, d’autres comme sa mère, un accident. Les biographes d’Alan Turing révèlent une anecdote intéressante ; en 1938, à Cambridge, il assista à la projection de Blanche-neige et les 7 nains des studios Disney et par la suite, n’arrêta plus de fredonner la complainte de la sorcière : « Dip the apple in the brew / Let the sleeping death seep through » … « Plonge la pomme dans le brouet / Et laisse le sommeil de mort l’imprégner »…

Il y a quelques jours, le premier ministre britannique Gordon Brown a présenté des excuses au nom du gouvernement pour le traitement déplorable et inhumain réservé au mathématicien Alan Turing dans les années 50. (rappelons au passage que près de 100 000 britanniques furent condamnés à la castration chimique jusqu’en 1967). Mieux vaut tard que jamais…Mais en manière d’hommage crypté, on peut dire que les joyeux lurons d’Apple furent, à cet égard comme en bien d’autres, des précurseurs.

A parier que vous ne regarderez plus de la même manière un ordinateur Apple…



Laurent Lemire, Alan Turing, l’homme qui a croqué la pomme, Hachette littératures, 2004.

David Leavitt, Alan Turing, l’homme qui inventa l’informatique, Dunod, 2007.







Saturday, September 5, 2009


« Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes »   


                                                                                                 


Avec l'invention de la machine à vapeur, de l'automobile ou de l'avion sont nés la catastrophe ferroviaire, les crashs automobiles et aériens. Et bien avant cela pourrait-on dire, avec l’apparition du premier outil, du premier couteau, est née la coupure, la blessure, l’accident. L’histoire du livre ne déroge pas à la règle. Avec son apparition, sa disparition est rendue possible. Le romancier américain Ray Bradbury résume bien cet état de fait en préface de Fahrenheit 451 : « Fahrenheit 451 ; la température à laquelle un livre s'embrase et se consume ».

L'histoire du livre est parsemée d'autodafés, d'ouvrages mis à l'index, interdits pour outrage à la religion et aux bonnes moeurs, considérés comme licencieux ou propres à déranger l'ordre public. 

La censure peut se lire aussi comme le signe avant-coureur d'une dictature. Ainsi, les nazis brûlèrent de nombreux livres considérés comme dissidents. Parmi eux, citons ceux de Stefan Zweig, Bertold Brecht, Alfred Döblin...

Des civilisations entières furent également réduites en fumée comme ce fut le cas pour les Mayas dont la plupart des codex furent détruits au XVIe siècle. Plus près de nous, le livre de Salman Rushdie, Les versets sataniques, fut l'objet de nombreux autodafés un peu partout à travers le monde.

« Là où on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes » disait Heinrich Heine. L'Histoire ne manque pas d'exemples mais avec le raffinement des méthodes de coercition, désormais, l’usage civilisé suggère que l’on traîne en justice pour diffamation les auteurs et leurs maisons d'édition.

A ce propos, nous souhaiterions soutenir un ouvrage remarquable, intitulé Noir Canada, pillage, corruption et criminalité en Afrique d'Alain Deneault, paru chez Ecosociété en 2008. Cet ouvrage dénonce l'appui politique et financier du Canada à des sociétés minières et pétrolières canadiennes qui exploitent sans vergogne le sol africain et se rendent coupables de nombreuses exactions. Entre autres joyeusetés ; expropriations, empoisonnement massif et génocide "involontaire" (au Mali), privatisation sauvage du transport ferroviaire (Afrique de l'Ouest), guerres sanglantes encouragées dans la région des Grands Lacs africains, mineurs enterrés vifs (Tanzanie), ou encore transformation d’une population en cobayes pharmaceutiques (Côte d'Ivoire). 

Cet ouvrage aux sources rigoureuses (qui s'est d'ailleurs mérité le Prix Richard Arès de l'action nationale 2008) s'est attiré les foudres des compagnies minières et pétrolières Barrick Gold et Banro, qui poursuivent les éditeurs ainsi que les trois auteurs pour diffamation et leur réclame la modique somme de 11 millions de dollars. 

Pour les soutenir, nous vous encourageons bien-sûr à acheter leur livre mais aussi à vous rendre sur leur site : http://www.ecosociete.org ou vous trouverez tous les renseignements nécessaires.

« On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne » disait Cioran, dans De l’inconvénient d’être né…




Tuesday, September 1, 2009


De l'art de la dédicace et de l'épigraphe

« All is true »

(Shakespeare, cité par Balzac dans Le Père Goriot). 

D'après Gérard Genette, théoricien littéraire et grand spécialiste du paratexte, les origines de la dédicace remonteraient à la Rome antique. Il s'agit d'un hommage que l'on rend à une personne en particulier, à une œuvre, à un groupe réel ou idéal ou à des allégories. Depuis la fin du XVIe siècle, c'est en tête du livre, en exergue, qu'on peut la trouver, même s'il y a des exceptions -- la dédicace des Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar se trouve en fin de volume. 

C'est qu'il est rare de trouver un livre qui se lance de manière solitaire en quête du lecteur; l'auteur se doit de nous distiller un avant-goût, de nous donner matière à penser, de nous préparer. Cette initiation se traduit, comme toute tentative de séduction, par des préliminaires, plus ou moins heureux, plus ou moins longs, tandis que d'autres brillent par leur absence. (Albert Camus, abrupt et terrible dans L'étranger, qui nous livre sans ménagement au choc de sa première phrase.). Certains auteurs accumulent les citations, les références, les avertissements doublés de prologues ou de préfaces, quand ce ne sont pas les traducteurs qui en rajoutent, comme Baudelaire, le traducteur des Histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe, qui dédie longuement son travail à Maria Clemm avant de céder la place à la citation de Sir Thomas Browne choisie par Poe en préambule du Double assassinat dans la rue morgue (considéré comme un des textes fondateurs du polar): « Quelle chanson citait les sirènes? Quel nom Achille avait-il pris, quand il se cachait parmi les femmes? Questions embarrassantes, il est vrai, mais qui ne sont pas situées au-delà de toute conjecture ». 

Une histoire de famille

L'art de la dédicace est un exercice que certains auteurs prennent très au sérieux tandis que d'autres optent pour une simplicité frôlant le renoncement ou cherchant à soulever l'interrogation. On y cultive l'ellipse, la suggestion, le mystère, comme pour Russell Banks dans La relation de mon emprisonnement: « À F.Q.H. Souviens-toi de la mort ». Le roman est public, mais la dédicace reste privée: pour cela, rien de tel que les initiales, que seuls les initiés peuvent comprendre. 

On rend hommage à ceux qui nous soutiennent, nous entourent, nous ont mis au monde ou qui sont sortis de nous : Paul Auster dédie sobrement Brooklyn Follies à sa fille Sophie, John Fante et Bandini à sa mère Mary Fante et à son père Nick Fante. Bukowski choisit d'offrir ses Souvenirs d'un pas grand-chose « à tous les pères ». Quant à Joseph Delteil, il dédicace Sur le fleuve Amour « à Maman, à la Vierge Marie et au général Bonaparte ». 

Il y a aussi les mères, les femmes. Boris Vian n'hésite pas à nous livrer un peu de son intimité en dédicaçant L'écume des jours à son « bibi » (surnom de sa première épouse), tandis qu'en toute simplicité, Albert Cohen dédie sa Belle du Seigneur « à [sa] femme". Pour Salman Rushdie, c'est à l'énigmatique « Marianne » que vont Les versets sataniques. Quant à Balzac, lyrique, il se révèle en exergue d'Eugénie Grandet: « À Maria: que votre nom soit ici comme une branche de buis bénit, prise on ne sait à quel arbre, mais certainement sanctifiée par la religion et renouvelée, toujours verte, par des mains pieuses, pour protéger la maison ».  

Certains glorifient leurs morts et donnent à leurs dédicaces des allures de pierres tombales. Par exemple, la dédicace de James Ellroy se fait sanglante dans Le dalhia noir: « À Geneva Hilliker Ellroy (1915-1958). Mère: 29 ans plus tard, ces pages d'adieux aux lettres de sang ». Philippe K. Dick, quant à lui, dédie Blade Runner (ou le titre original, bien plus évocateur : Do Androids Dream of Electric Sheep?) à Maren Augusta Bergrud (10 août 1923 14 juin 1967), en citant Yeats: « Et je rêve encore qu'il arpente la pelouse, Fantôme dans la brume matinale, Que traverse mon chant joyeux ». 

On dédie son ouvrage à une femme mais parfois aussi à une ville au travers de la femme, comme Lawrence Durrell qui dédie son Justine à Eve, « en mémoire de sa ville natale ».  

Et il y a Bukowski, dit le Grand Bud, avec cette poésie si vive qui le caractérise, adressant ses Nouveaux contes de la folie ordinaire à Linda King, « à qui je dois tout et qui le reprendra en se tirant ». 

Il y a les sœurs: « À Julie, petite sœur, grande amie ». (Patrick Senécal en dédicace de Sur le seuil). Il y a aussi les cousines, « que l'on aimera toujours », comme Katharine de Mattos, à qui Stevenson adresse L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, suivi d'un poème équivoque: « Mal agit qui dénoue les liens que Dieu a noués par décret: Toujours serons enfants de la bruyère et du vent; Même loin de chez nous, oh! c'est toujours pour toi et moi: Que le vent joli souffle dans les genêts d'Écosse ». 

Une histoire d'amour

La dédicace, comme toute histoire de famille, est une histoire d'amour. (Je n'ai pas encore trouvé de « Dédicace à l'ennemi », mais elle doit bien m'attendre quelque-part, tout aussi sobre mais plus sujette à interprétation; Baudelaire dédiant son Amour de l'Art : « Aux bourgeois ».) 

L'amour n'est pas qu'une histoire de sang; ce sentiment peut-être aussi une histoire de chiens: certains font dans la zoologie et dédient leurs œuvres à leurs amours à pattes et à poils (Paul Léautaud, Colette, ou encore Céline dans Rigodon: « Aux animaux »). 

Par la dédicace, on récompense aussi le ou les commanditaires: Cervantès offre Don Quichotte au duc de Bejar. Phénomène plus contemporain, on remercie désormais ses agents littéraires, comme Michael Connelly dans Le poète: « Ce livre est dédié à Philip Spitzer et Joel Gotler. Ce sont de grands agents et conseillers littéraires, mais surtout de grands amis ». 

Il y a également les maîtres qu'on n'oublie pas (Baudelaire dédie Les Fleurs du mal « au poète impeccable, maître et ami Théophile Gautier »), et les amis, comme Stevenson dans L'Île au trésor: « À Lloyd Osbourne, gentleman américain. Le récit qui va suivre, rédigé conformément à son goût classique, Lui est aujourd'hui dédié, en remerciement de maintes heures délicieuses, et avec les vœux les plus affectueux de son ami dévoué », suivi de la meilleure adresse qui puisse exister, dédiée « À l'acheteur hésitant ».

Les romans de Walter Scott sont, quant à eux, dédicacés à des personnages imaginaires, alors que Joyce dédie sa première œuvre, Une brillante carrière, à sa propre âme...