Sunday, August 2, 2009


7 MILLIARDS DE FACONS DE MOURIR OU CHRONIQUE AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL / PREMIERE PARTIE



Si on en croit Mario Vargas Llosa, "la vie est une tornade de merde, dans laquelle l'art est notre seul parapluie". Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais cette émouvante réflexion de l’écrivain péruvien me renvoie au polar, au roman noir, à cette littérature policière qui plus qu'une autre, reflète notre époque, ses souterrains, ses basses cours, ses arrières-cuisines, ses chambres, là ou on égorge, coupe, tue, violente, empoisonne, torture, là ou l'homme, avant toute considération humaniste, est une créature faite de sang, de sperme, de tripes et d'os. Et là où existe 7 milliards d’êtres humains, existe 7 milliards de façons de mourir. Les visages du polar sont multiples et l’œuvre soit d’allumés, soit d’aiguilleurs, de forcenés ou encore de pessimistes d’après la nomenclature de Jean-Bernard Pouy, auteur de polars inclassables, notamment du rafraîchissant Spinoza encule Hegel paru chez Albin Michel et papa du Poulpe, alias Gabriel Lecouvreur, héros libertaire dont on ne saurait que trop conseiller ses Nazis dans le métro ou La petite écuyère a cafté

Le pendant populaire du polar est ce qu’on appelle communément le roman de gare, style SAS ou l'Exécuteur, inintéressants au possible, voire représentants d'une certaine droite crypto-fasciste, au contraire de San-Antonio dont les titres comme :Le gala des emplumés, Vol au-dessus d'un lit de cocu, Mon culte sur la commode, Tire m'en deux c'est pour offrir, Après vous s'il en reste Monsieur le Président ou encore Céréales killer, sont une belle initiation à l’art délicat de la contrepèterie.La littérature policière a longtemps été considérée comme un genre mineur mais certains auteurs lui ont permis d'acquérir ses lettres de noblesse. Dashiell Hammett par exemple, de l'école des durs à cuire, auteur du Faucon maltais, qui eut le mérite de sortir le polar des chambres à papa pour le replacer dans son époque, celle du chômage et de la guerre des gangs, et de dénoncer le mensonge social qui maintient l’ordre. Jean-Patrick Manchette, père du néo polar, fera la même chose dans les années 70 (« Le bon roman noir est un roman social, un roman de critique sociale, qui prend pour anecdotes des histoires de crimes »).

Qu'on ai dépassé Simenon et son relent de papier-peint de France profonde avec son Maigret ne fait aucun doute (quoi que je conseille à tous la lecture de "La neige était sale"). Simenon, qui conseillait "d'écrire gris et de limiter son vocabulaire pour ne prendre que les mots qui ont la même résonance dans chaque esprit" est un classique, comme Sir Arthur Conan Doyle, père de Sherlock Holmes, comme Agatha Christie, mère de Hercule Poirot et auteure à l'humour typiquement british : "Les archéologues font des maris idéaux. Plus leur femme vieillit, plus ils l'apprécient". Mais ils font aussi de bons auteurs de polars. Fred Vargas, archéo zoologue de son état, n’aime rien tant que la trace, passion qu’elle partage avec Arnaldur Indridason, au contraire de Simenon qui lui, préférait le criminel au crime.

La suite au prochain numéro, dans la position du tireur couché, en plus chacal et plus sanglant…




7 MILLIARDS DE FACONS DE MOURIR OU CHRONIQUE AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL/ DEUXIEME PARTIE


« J'ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent Chianti ».

Qui ne connaît pas cette célèbre réplique du psychiatre cannibale Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux

Le polar s'est découvert une autre voie dans les années 70 avec l'irruption dans le paysage noir d'un nouveau courant : celui des meurtres en série et des tueurs sadiques, où l'action et l'émotion, flirtant avec l'horreur, prennent le pas sur l'intrigue. Le contexte politique mondial est à la guerre froide, à l'Amérique de Nixon et à l'affaire du Watergate. Ted Bundy, célèbre tueur en série américain, commence à faire des siennes, ainsi que Donald « Pee Wee » Gaskins ou encore Donald Harvey.

Les tueurs en série ne sont pas nés avec le XXe siècle mais la médiatisation de leurs crimes contribue à nourrir la fascination que l'on éprouve à leur égard.

A ce chapitre, l'histoire de Jack l'Eventreur peut être considérée comme fondatrice : des corps de femmes sauvagement mutilés sont retrouvés dans le quartier de Whitechapel à Londres en 1888. Ce fait-divers sanglant n'est pas le premier du genre (on pense à Gilles de Rais, compagnon d'armes de Jeanne d'Arc et tueur d'enfants qui sévit au XVe siècle en France) mais il en sera fait grand cas dans les journaux de l'époque et intéressera de nombreux écrivains comme Robert Desnos.

Avec la naissance de la psychiatrie à la fin du XIXe siècle, notre regard sur le mal tend à évoluer ; le diable n'est plus le seul coupable, la bête se trouve à l'intérieur de l'Homme. La littérature de tueurs en série reflète cet état d’esprit.

Le moraliste Bret Easton Ellis (c’est lui-même qui se définit ainsi, et non en tant qu’écrivain) dans son roman American psycho, tend à révéler une autre facette du mal : c’est notre époque corrompue par la consommation de masse et le capitalisme bouffi qui secrète des monstres comme son héros yuppie Patrick Bateman.

(Ce à quoi répond l’écrivain James Ellroy : « la morale en écriture n’est que l’esquisse de nos propres actes immoraux »).

Cette figure du sérial killer a connu ses heures de gloire avec Herbert Lieberman, l’auteur de Necropolis, Caleb Carr avec L'aliéniste ou encore Michaël Connelly avec Le Poète. Et bien-sûr, Le silence des agneaux de Thomas Harris, qui avait inauguré le genre avec Dragon rouge en 1982.

Mais le filon semble un peu épuisé et peine à se renouveler, à l’exception notable du Tokyo année zéro de David Peace, paru en 2008, qui s’inspire de l’histoire vraie du tueur et violeur Kodaira Yoshio. On pourrait également citer le thriller de Shane Stevens, Au-delà du mal, un classique du genre, qui vient enfin de paraître en français chez Sonatine.

Le roman noir US a parallèlement révélé des écrivains d'une rare intensité; James Ellroy est de ceux-là. Marqué par le meurtre de sa mère, l'auteur du Dahlia noir ne laisse aucune place à l'improvisation. Son Quatuor de Los Angeles est un pur chef d'oeuvre qui nous offre la vision d'un monde sans espoir dominé par la violence, la corruption et la perversion. Un petit aperçu : « Il n’y a pas de chute de l’Amérique pour la simple raison que l’Amérique n’a jamais été innocente. Il est impossible de perdre ce qu’on a jamais possédé ».

Prochain et dernier round : les allumettes suédoises et le polar made in Québec. 







7 MILLIARDS DE FACONS DE MOURIR OU CHRONIQUE AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL / DERNIER ROUND


Depuis quelques temps se distingue une forme particulière de polar : celle du Nord de l’Europe ; Henning Mankell et Camilla Lackberg pour le versant suédois, Arnaldur Indridason pour la face islandaise ou encore l’allumette suédoise Stieg Larsson, qui a mit le feu aux poudres avec sa série Millénium (dont 1000 à 3000 copies sont encore vendues chaque jour). 


Pas un jour ne passe sans qu’on nous révèle un talent caché venu du froid, à croire que les éditeurs commencent à manquer d’imagination. Mais qu’ont-ils donc que les autres n’ont pas ? Une nuit qui en hiver, dure 19 heures (les petits chanceux), une boisson nationale répondant au doux nom de Black Death, un plat national composé de requin faisandé… Mmmm. Miam. Et on en redemande.


Enfin entre le nord de l’Europe et le Québec, la distance n’est pas aussi grande qu’il y paraît. Pas de Black Death mais une Maudite ou une Fin du monde qui savent se défendre et des auteurs qui ne mangent pas de requin faisandé mais qui savent aussi écrire. 

Commencons par Francois Barcelo, qui fut le premier auteur québécois à entrer dans la prestigieuse Série noire de Gallimard. De Moi les parapluies à Chroniques de Saint-Placide-de-Ramsay en 2007, j’avoue ma préférence pour Cadavres et Chiens sales.

Surtout Cadavres, publié en 1998 chez Série Noire, sorte de réponse à L’Etranger de Camus : « Savez-vous quand j’ai commencé à regretter la mort de ma mère ? C’est lorsque les premières gouttes de pluie se sont mises à dégouliner par le trou de balle dans le toit de la voiture. J’ai ensuite essayé de retrouver son corps dans le fossé, mais je suis tombé sur le cadavre de quelqu’un d’autre ».

Patrick Sénécal est évidemment un incontournable auteur de thriller fantastique et un grand maître du roman d’horreur. L’histoire de Thomas Roy, écrivain d’horreur adulé retrouvé mutilé et catatonique dans Sur le seuil vaut bien son pesant de cacahuètes. 

Chrystine Brouillet fait elle aussi partie du cercle restreint des poids lourds québécois. De Cher voisine à Promesses d’éternité, elle dévoile une plume gourmande et sans prétention, qui lui vaut de nombreux fidèles.

Jacques Côté révèle ses amours décomposés (au sens propre) dans Le Rouge idéal et un certain sens de la formule et de la mise en condition dans Nébulosité croissante en fin de journée ( un des meilleurs titres de tout le polar québécois à mon sens).

Quant à Jean-Jacques Pelletier, c’est toute son œuvre qu’on peut conseiller, tant ses sujets sont traités d’une main de maître (manipulation des foules, exploitation, embrigadement idéologique…). 


Le polar québecois, c’est aussi Stanley Péan, Jean Lemieux, Maryse Rouy, Maxime Houde, André Marois, Laurent Laplante, Benoît Dutrizac, ou encore l’anticonformiste Nando Michaud (La guerre des sexes ou le problème est dans la solution). 

Et la liste n’est pas exhaustive.

Des romans d’espionnage des années 50-60 aux relents de gentils nanars propagandistes (ah l’agent X14…), au dernier opus de Jean-Jacques Pelletier (La faim de la terre, attendu pour octobre), le chemin n’est pas si long que cela. Le polar québécois mérite seulement qu’on s’y attarde et surtout qu’on le considère. Notons au passage que les éditions Alire ont joué un rôle considérable dans la reconnaissance du genre.

Enfin, voici quelques règles à respecter si vous décidez de vous lancer dans l’écriture d’un polar (énoncées par Elmore Leonard) :

Ne commencez jamais un livre en parlant de la météo, évitez les prologues, tenez la bride à vos points d’exclamations et ma préférée : n’utilisez jamais de tournures telles que « soudain » ou « l’enfer se déchaîna » (l’auteur rajoute ensuite pour notre plus grand plaisir que cette règle se passe d’explication).

S’il n’en restait qu’une : « si ça a l’air écrit, je réécris ».


Prochaine aventure : la censure et les barbouzards au Québec.