Monday, June 1, 2009

COMMENT RESTER ASSIS DANS SA MARDE EN SE DONNANT BONNE CONSCIENCE


Pierre Falardeau, écrivain-cinéaste-ethnologue et activiste bien connu de mes compatriotes québécois, a encore frappé. Son dernier opus ; « Rien n'est plus précieux que la liberté et l'indépendance », aurait pu s'appeler « Comment rester assis dans sa marde en se donnant bonne conscience et passer pour un intellectuel profond mais inoffensif » mais l'éditeur nous en a privé en trouvant ça... trop long. Disons le d'emblée, Falardeau est de cette trempe d'homme à qui on ne la fait pas : avec lui pas d'entourloupes, de coups fourrés, il écrit comme il cognerait s'il était boxeur, avec ténacité, endurance et courage. Il y a du Michel Audiard et du Léon Bloy dans ses écrits, une bonne dose d'humour et d'autodérision et quelque-chose comme de la tendresse, de celle qu'on trouve chez Bukowski, avec l'espoir de celui qui, acculé dans les cordes, continue de lancer ses poings, vaille que vaille, coûte que coûte.

Vous le prenez pour un fêlé avec son histoire d'indépendance? Non, le morceau n'a pas encore descendu l'oesophage et comme disait Audiard : heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière. (Enfin l'homme s'est fait suffisamment d'ennemis pour qu’on puisse dire du bien de son bouquin sans pour autant lui faire perdre de sa charge explosive).

Falardeau lance à la tête des gens des mots sans-culottes pour reprendre la formule de Léo Ferré, combat la bêtise, ce que Karl Marx appelait la troisième puissance après la violence et le capital. Il s’en prend à l’ordre, aux hygiénistes de la romance, aux têtes de mort rasées de près, à ceux qui lèchent, encensent, décorent, flattent, sourient et menacent. Oui, la liberté n'est décidément pas une marque de yaourt pour Falardeau et sa technique est assez surprenante : ça ressemble a du hareng avec un arrière-goût de caviar. Assez rare pour être souligné. Généralement c’est l’inverse. Enfin l’homme est de parole et sait ce que pèse un mot (« les armes les mots c'est pareil ça tue pareil » disait Ferré).

Sa langue est vibrante, vivante enfin, il y est question d’ennemis, de poésie, de combats, d’amours, de trahisons, et surtout, d’insoumission sous toutes ses formes. Falardeau donne envie de relire Orwell et son « Hommage à la Catalogne », de découvrir Gaston Miron et Pierre Perrault, de partir à la rencontre d’un Québec oublié trop vite, enterré trop tôt, mais qu’on se le dise, qui n’est pas encore mort.

« La boxe c’est long, ça prend du temps... Le gagnant c’est le dernier qui arrête de se battre ».

 

 

Pierre Falardeau, « Rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance », VLB éditeur, 2009.

George Orwell, « Hommage à la Catalogne », 10/18, Paris, 2000.

Pierre Perrault, « Le visage humain d’un fleuve sans estuaire », Trois Rivières, Ecrits des Forges, 1998.  

 

A QUOI BON EMPRUNTER SANS CESSE LA MEME VIEILLE ROUTE ?



Question qui en vaut bien une autre : que faites-vous de vos journées? Je veux dire : au delà de l'utilitaire, du nécessaire, de l'obligatoire, de la sacro-sainte trinité "travail-famille-patrie"? Allez, il doit bien vous arriver de lever les yeux au ciel ou à défaut, au plafond de votre sous-sol pour quelques minutes de pure évasion (si vous travaillez au sous-sol ce qui, je l'assure ici en toute connaissance de cause, peut élargir bien des horizons, à condition bien-sûr d'être entouré de livres et de gens de bonne compagnie). "L'imagination vaut bien des voyages et elle coûte moins cher" comme disait G. W. Curtis.  Mais qu'est ce qui est le mieux? Voyager, réactiver notre regard sur le monde, ou encore rester chez soi et suivre les périples des autres par procuration? Homère a enchanté des générations entières avec son Odyssée, racontant la chute de Troie et les pérégrinations d'Ulysse, voyageur malchanceux et jouet des dieux. De son côté, Jack Kerouac s'est fait le chantre des "clochards célestes" dans Sur la route, un livre devenu culte qui nous entraîne à la suite de Sal Paradise, voyageur désargenté en lutte contre les conventions et la morale étriquée des années 50. Plus près de nous, Cormac MacCarthy dans son livre La route, qui s’est mérité le Prix Pulitzer 2007 et récemment le prix des libraires du Québec, nous entraîne dans un monde apocalyptique, à la suite d’un père et de son fils, dans ce qui reste d’une humanité retournée à la barbarie. 

Mais qu’est-ce que la route finalement ? Qu’est-ce que le voyage ?

Tout un univers de définitions, de sensations, qui a ses adeptes et ses détracteurs ("on est tous cons, mais pas au point de voyager" disait Samuel Beckett, en parlant sans doute de la supercherie du voyage, de celui qui s'achète et qui garantit de tout… sauf de la connerie). Dans son livre, Routes, éloge de l'autonomadie, l'anthropologue Franck Michel en offre un aperçu approfondi, exaltant, et parfois tragique. Il nous vante les chemins de traverse, dissèque avec rigueur l'univers vorace de la publicité et ses guettos touristiques, s'interroge sur la migration des peuples et sur la philosophie du voyage. "L'homme a de tous temps constamment cherché une vie meilleure ailleurs que chez lui, c'est un fait incontestable dont l'histoire nous abreuve d'exemples pacifiques et sanglants. La sédentarité n'est pas inscrite dans le patrimoine génétique de l'homme. Sapiens est par définition un migrant, émigrant, immigrant". Voilà qui a le mérite d’être clair. Enfin cet essai littéraire et libertaire nous incite tout simplement à ne pas oublier de vivre, mais aussi à prendre du recul par rapport à la société dominante. (" Pensez au lieu de dépenser !" slogan salvateur que l'on a pu trouver dans le métro montréalais il y a quelques années).

Un livre pour tout ceux qui souhaitent arrêter de compter le temps pour commencer à le conter.



Homère, L’Odyssée, Actes Sud, Paris, 1995.

Jack Kérouac, Sur la route, Gallimard, Paris, 1999.

Cormac MacCarthy, La route, éditions de l'Olivier, Paris, 2008.

Franck Michel, Routes, éloge de l’autonomadie, Presses de l'Université Laval, 2009.