Wednesday, October 7, 2009


ALAN TURING : L’HOMME QUI A CROQUE LA POMME



On a trop rarement l’occasion de penser aux hommes qui se cachent derrière les inventions les plus courantes. C’est vrai qu’après une journée bien remplie, on a autre chose à faire qu’à disserter sur l’inventeur de la clepsydre à eau ou de la poire à lavement. Il serait bien difficile de nier les inventions de Monsieur Winchester, de Monsieur Poubelle ou de Monsieur Bic (et oui…) puisqu’elles portent le nom de leurs inventeurs. Mais que diriez-vous d’évoquer l’histoire d'un surdoué de l’informatique ? Beaucoup d’entre nous connaissent le logo d’Apple, une pomme croquée aux couleurs multicolores. Mais qui connaît l’histoire qui a inspiré ce logo ? Elle est tout simplement extraordinaire et elle débute en Grande-Bretagne, avec la naissance en 1912 d’Alan Turing. Mathématicien surdoué, il se distingue en posant les bases des recherches en intelligence artificielle et à l’idée de concevoir le premier ordinateur dès 1936. Pendant la seconde guerre mondiale, il collabore avec les services secrets britanniques et parvient à percer le secret de la machine Enigma, qui permettait aux nazis de coder leurs messages et contribue ainsi grandement à la victoire des alliés. (Churchill considéra même qu’ Alan Turing avait sauvé l’Angleterre). 

Mais l’homme est homosexuel, l’assume et le reconnaît, et on ne plaisante pas avec ce qui est considéré dans les années 50 comme un crime et une perversion. En 1952, c’est la même loi qui condamna l’écrivain Oscar Wilde (la fameuse section 11 du Criminal Law Amendment Act de 1885) qui fait « tomber » Turing. On le somme de choisir entre l’incarcération et la castration chimique. Il choisit cette dernière, en pensant ainsi réussir à poursuivre ses travaux. D’une part, cette castration chimique censée réduite sa libido et réorienter sa sexualité « dans le droit chemin » échoue, mais d’autre part, il est écarté de tous les grands projets scientifiques de l’époque.  

En 1954, il est retrouvé mort dans son lit, une pomme croquée trempée dans du cyanure à côté de lui. Meurtre ? Suicide ? Accident ? Les avis sont partagés.  Certains évoquent une mise en scène des services secrets britanniques, d’autres comme sa mère, un accident. Les biographes d’Alan Turing révèlent une anecdote intéressante ; en 1938, à Cambridge, il assista à la projection de Blanche-neige et les 7 nains des studios Disney et par la suite, n’arrêta plus de fredonner la complainte de la sorcière : « Dip the apple in the brew / Let the sleeping death seep through » … « Plonge la pomme dans le brouet / Et laisse le sommeil de mort l’imprégner »…

Il y a quelques jours, le premier ministre britannique Gordon Brown a présenté des excuses au nom du gouvernement pour le traitement déplorable et inhumain réservé au mathématicien Alan Turing dans les années 50. (rappelons au passage que près de 100 000 britanniques furent condamnés à la castration chimique jusqu’en 1967). Mieux vaut tard que jamais…Mais en manière d’hommage crypté, on peut dire que les joyeux lurons d’Apple furent, à cet égard comme en bien d’autres, des précurseurs.

A parier que vous ne regarderez plus de la même manière un ordinateur Apple…



Laurent Lemire, Alan Turing, l’homme qui a croqué la pomme, Hachette littératures, 2004.

David Leavitt, Alan Turing, l’homme qui inventa l’informatique, Dunod, 2007.